mardi 24 février 2015

L'achaba

"Les peuples du désert, qu'ils soient nomades ou sédentaires, me donnent toujours des leçons de par leurs dons d'émerveillement, d'imagination, de volonté et d'adaptation. Leur force, leur capacité de ressurgir, je leur donnerai le symbole d'une plante, l'achaba, qui, malgré une longue période d'aridité, renaît sous l'effet d'une légère pluie et recouvre le sol, fait des fleurs, des fruits. Rien n'est achevé au désert, la dynamique d'espoir est sous-jacente. Des familles et des maisons se construisent. C'est à la fois les racines et l'ailleurs. Le goût de la pérennité et la liberté intérieure toujours présente qui animent têtes et jambes. Dans cette nudité, le moindre signe de vie apparaît en exergue."  

In Le chercheur d'absolu, Théodore Monod, Le cherche midi, 1997

*

ECHO :

01.03.15 - L'Amazonie fertilisée par... la poussière du Sahara : Voilà qui ajouterait un petit caillou de bonheur à celui qui avait aussi épousé le désert.

dimanche 22 février 2015

21 février 1944

"Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie Adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant."

Strophes pour se souvenir, Louis Aragon, in Le Roman Inachevé, 1955



mercredi 4 février 2015

RESISTER

Emission Hors-champs du 29 janvier 2015 (France culture). Laure Adler s'entretient avec Kamel Daoud, écrivain et chroniqueur à Oran (ouvrages publiés en France : Minotaure 504, 2011 ; Meursault, contre-enquête, 2014), qui éprouve au quotidien le prix de ne pas taire sa pensée dans son pays.
L'entretien se termine au téléphone : Kamel Daoud est reclus. Un imam algérien a prononcé en décembre une fatwa à son encontre, et depuis lors renouvelé ses menaces de mort, en toute impunité.

Voici comment cet échange se termine :

Laure Adler :

"Où réside l'espoir selon vous ?"

Kamel Daoud : 

"Dans la dignité.

Je crois... De plus en plus, je crois qu'on est en train de perdre.

Mais je crois que la dignité de l'homme est de continuer son combat. 
Et de pouvoir s'acquitter d'une dette. Je dois défendre le monde que je vais transmettre à mes enfants, mètre par mètre.
Si je perds, je l'aurais défendu, mais si je gagne, j'aurais transmis quelque chose de beau et de très libre à mes enfants.
Je ne dois pas baisser les bras parce que je ne veux pas que ma défaite soit double. Je ne veux pas que ce soit la défaite d'une histoire et en même temps la défaite d'un individu.
Ma conviction, ma dignité, est de continuer à écrire, à proposer autre chose, à défendre ce en quoi je crois.
C'est mon rôle, c'est ma conscience qui me le dicte, c'est mon éducation, c'est mon héritage, et c'est ma vie qui me l'impose. Je pense que la vie c'est un don, mais qu'on doit aussi défendre. Et le souci de la dignité pour moi est sacré."

Ecouter l'entretien, les paroles de Kamel Daoud sont puissantes.

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J'étais en train de lire Le chercheur d'absolu de Théodore Monod (1997, Le cherche midi) et les mots que je venais de lire n'en finissaient plus de résonner de vérité :

"L'essentiel est de montrer que tous les hommes n'étaient pas d'accord. C'est indispensable pour l'honneur de l'être humain.

La civilisation "n'est en effet ni la richesse, ni la puissance, ni la vitesse, ce dieu moderne. Ce ne sont là que des moyens. Jamais l'homme n'a eu tant de moyens à sa disposition, jamais il n'a été dans une aussi parfaite ignorance des fins auxquelles il les devait appliquer. La civilisation vraie se définira par ses fins, qui seront nécessairement la culture des attributs distinctifs de l'humanité, ceux que l'homme est seul à posséder. En vitesse il sera battu par la gazelle, en diligence par la mouche maçonne, en force par l'éléphant, en férocité par la panthère, et les fourmis réaliseront mieux encore que lui l'idéal de l'Etat totalitaire. Ce qui lui appartient en propre c'est la raison qui poursuit la vérité, le sens du juste et de l'injuste qui conditionne la vie morale, l'émotion esthétique, à la recherche de la beauté. Pas de civilisation véritable dans une société qui ne fera pas leur place à ces trois éléments. Donc pas de civilisation possible dans une société où l'homme n'est plus libre de penser, d'agir, de créer, sous un régime totalitaire par exemple." Théodore Monod, Réflexions sur le sens du conflit, Dakar, conférence, 4 avril 1943.

Et aussi, bien des réflexions nées d'une longue vie à l'"école du désert". Cette mise à distance que permet la plongée dans le désert, la vie nomade, la recherche scientifique, la spiritualité, qui fait voir notre société pétrie de violence, de bavardages et de possessions inutiles - dépourvue de consistance.

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Comme Kamel Daoud je pense qu'on est en train de perdre. L'argent, l'attrait pour la possession, la puissance, la violence, les "fascismes" sous toutes leurs formes sont en train de gagner et de finir de ronger l'homme et le monde. Alors s'il reste un espoir et un sens dans tout ça, c'est bien dans cette dernière chose qui est exprimée. Cela fait peut-être déjà longtemps mais je crois que l'on est définitivement dans cette phase de l'humanité : celle où il ne lui reste que cette chose : résister.